Après près de trois ans de gestation, Djuge sort son premier projet « Only God Can Djuge Me », une phrase résonnant déjà comme un écho des ninety’s pour tous les amateurs de rap. « Only God Can Judge Me », morceau légendaire de Tupac Shakur, ancré dans la mythologie du hip-hop. Celle-ci est ici une influence, non seulement dans le nom, mais également dans l’identité culturel de l’album, entre les instrumentales jazzy et old school et les textes, sincères et humbles. C’est ainsi en héritier d’un rap immortel que se place Djuge.

L’album contient 20 morceaux, dont l’écart d’écriture et de réalisation est parfois marqué d’une impression d’hétérogénéité, la faute aux trois années de productions nécessaires à l’aboutissement du projet. Mais, loin d’une identité décousue, la cohérence du projet se confirme par le propos récurrent et par les différents featuring (P’tit mich’, Rissbo, Lib-rt, M1ro, Raph, Cheez, Siliano et Sko) qui constituent une fresque plutôt homogène, grâce à un message et des racines sensiblement communes.
 

Djuge, héritier du rap conscient

Le premier morceau « Egocrise » est révélateur de la ligne directrice de l’album. Ici, on est loin des égotrips, loin des visions de vie paradisiaque et beaucoup plus proche du regard par la fenêtre, au plus près du réel. C’est sur des boom-bap à l’ancienne que se lance l’album : là encore, ce choix artistique, bien que jouant sur quelques variantes, se posera comme base pour les 20 tracks suivantes. Le propos se veut vrai, cru, et à la mesure du quotidien du rappeur, alternant entre critique sombre et cris d’espoirs. L’écriture est efficace sans pour autant renouveler le style de l’ancienne école ; elle propose néanmoins des sonorités assez agréables, des rythmes et des techniques un peu délaissées depuis les années 2000.

 

Pochette de l’album

Le propos, c’est la colonne vertébrale de ce disque. La quasi-totalité des morceaux peuvent être considérés comme du rap conscient. Même si cela peut sonner comme convenu, ou paraitre être une pâle copie du fond de « The message » de Nas. C’est avec beaucoup d’humilité, et sans jamais être paternaliste, que Djuge porte son message. Des valeurs nobles, souvent déjà entendues dans le rap français, dont il reprend parfois les gimmicks, comme en citant « les Démons de Jésus » de Bernie Bonvoisin dans le titre « Une arme à la main ». Un titre qui résonne à la manière d’un « Bene » de Kery James par son but éducatif, mais qui ne peut prétendre égaler le chef d’œuvre du rappeur du 94.

Mais ce qui touche surtout, ce sont les bons sentiments et la sincérité avec lesquels ils sont rappés. Cette humilité, on peut la sentir dans « A l’instinct » ou Djuge rappe « Ce son, j’men fous que tu l’aimes/j’gaspille les heures par plaisir/sans palper de fric/ avant que j’finisse par périr » ; une phrase qui résume à merveille la philosophie de l’album, loin de toute prétention mais portant à bout de bras une idéologie humaine aux convictions sociales marquées.

 

Des influences musicales Old School

Le flow est plutôt agréable, souvent bien construit, imaginatif ; l’orientation est encore old school, loin des recherches techniques qui se font actuellement dans le monde du rap francophone. Mais il y a un certain souci des multi-syllabique chez Djuge, un désir d’avoir une sonorité fluide et efficace, comme dans « C’est parti » où « Garder l’espoir » qui ont des parties très intéressantes au niveau technique. Le MC isérois s’essaye à d’autres types de phrasé, comme sur « J’ai pas l’time », qui pourrait presque faire penser à celui des Sages Po’ par moment ou sur « Rien en retour », où il opte pour un flow plus à la manière de Fabe ou de 1995.

 

Djuge sur scène au Grand Angle (Voiron)

Bien loin de la tendance cloud ou trap, les instrumentales ont de très fortes inspirations old school, constituées essentiellement de sample de jazz, de soul, composant avec du piano, de la voix, du violon, ou parfois du saxophone. Le fond sonore des morceaux est très cohérent, frôlant parfois la redondance. Mais d’autres morceaux ont des influences différentes. Orientales, pour « L’heure a sonnée », et R’n’B, du début de la décennie pour « A l’instinct ». Cet album sent bon la MPC et les face B des années 90. Une volonté artistique qui devient très claire dans « A l’ancienne », un nom de titre explicite qui s’accompagne par un timbre très marqué vieille école, où le grain du vinyle nous accompagne durant toute l’écoute.

Malgré quelques rares erreurs techniques, quelques facilités d’écritures et un message parfois convenu, « Only God Can Djuge Me » est un premier album réussi, qui séduira la plupart des amoureux du rap old school. Bien sûr, on est loin des standards actuels, mais comme le dit la Scred Connexion « Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction ». C’est ici la preuve que la scène rap grenobloise n’a pas à rougir de sa production et que le hip-hop a su s’implanter en Isère sous bien des formes. Ici, sous celle d’un album qui suit la tradition du hip-hop français, des instrumentales classiques mais appréciant des influences extérieures et des textes appliqués sur la forme, portant un fond rempli de bonnes intentions.

 

Où écouter l’album (et le télécharger) ?

 

Only God Can Djuge Me, de Djuge
5.7Note finale
Originalité 4
Technique 6
Plaisir à écouter7
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7.6
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