On vous a fait découvrir Varsovie à l’occasion de la chronique de son album « Coups et blessures ». Aujourd’hui, c’est l’analyse du clip Killing Anna, issu de ce même album que je vous propose de décortiquer. Le clip a été réalisé à Porto au Portugal, par Guilherme Henriques, avec l’actrice Teresa Queirós. Et c’est dans une ambiance sombre et lourde inspiré des films noirs que les artistes nous emmènent…

 

Quand tout peut basculer

Durant tout le clip, ce qui est exploré c’est la frontière mince entre le quotidien et l’exceptionnel, mais un exceptionnel tragique. Comment et pourquoi bascule-t-on du normal au terrible ?

Le scénario se déroule comme un fil tendu au-dessus du vide sur lequel le personnage féminin avance comme un funambule : on ne sait quand elle va tomber… ou choisir de sauter. Alors on scrute, on observe, on analyse pour tenter de comprendre ce qui pousse vers le dramatique, quel élément décisif va déterminer la chute.

 
Varsovie Clip Killing Anna - Aperçu du quotidien - Music'n'Gre
 
Savait-elle ce qui se passerait dès le réveil ? Le choix de sa tenue est-elle significative ? Et si quelqu’un lui avait parlé ou l’avait bousculée dans la rue, aurait-ce été différent ? Tant de questions soulevées au cours du visionnage et auquel chacun choisira de répondre comme bon lui semble. Car au final, la question du basculement vers le drame reste souvent sans réponses véritables. On analyse, on décortique… que ce soit les médias lors d’un attentat, les proches lors d’un suicide ou les enquêteurs vis-à-vis d’un meurtre. Mais jamais on ne répond.

Dans le clip, les réponses sont entièrement incarnées dans le personnage joué par Teresa Queiros, qui conserve toutes les clés de son cheminement mental : seuls ses regards et ses expressions sont offerts. On est donc focalisé de manière intime et presque étouffante sur un personnage en pleine introspection. Cette proximité est imposante et lourde, puisqu’on est spectateur de ses émotions sans totalement les comprendre et sans pouvoir les interpréter. On est impuissants. L’actrice est seule, seule face à elle-même et seule au milieu de la foule. Même lors de son errance dans les rues parcourues de passants, elle n’aura aucune interaction sociale. On remarque un repli progressif sur soi.

 
Varsovie Clip Killing Anna - Introspection repli sur soi emotions sentiments - Music'n'Gre Musicngre
 
Le clip matérialise donc toutes les questions liées au pré-dramatique, à tout ce qui se déroule avant le terrible. Il nous place face à notre incapacité à comprendre le drame, à l’éviter, à l’appréhender. Il incarne notre frustration mais aussi bien évidement notre fascination. Car si Charles Manson, le massacre de Columbine ou encore le suicide de Kurt Cobain passionnent autant les foules, c’est parce qu’on est incapable de les comprendre. Le clip crée alors une tension intérieure, à la fois jouissive et douloureuse.

 

Un jeu de clair-obscur à la manière du film noir

La lumière a une importance particulière dans ce métrage. La scène s’ouvre sur une lumière. Le cordon permettant de l’allumer effectue un mouvement de balancier qui amène une notion de temporalité forte. Il fonctionne comme un minuteur, une sorte de décompte qui vient signifier d’emblée une finalité tragique.

 
Varsovie - Killing Anna - Clip - lumière et pendule - Music'n'Gre
 
Les scènes sont souvent composées en clair-obscur avec un contraste fort entre les zones lumineuses et celles plongées dans l’ombre. Ce contraste rappel bien évidemment l’esthétique des films noirs dans laquelle a voulu s’inscrire Guilherme Henriques, et qui amène une impression de menace. Mais l’importance de la lumière va au-delà de ce simple contraste.

Un jeu se crée tout au long du clip entre l’actrice, l’ombre et la lumière. Teresa Queirós va passer de l’un à l’autre, comme une hésitation perpétuelle. Elle lève les yeux vers un lampadaires à la lumière duquel elle semble s’être abritée, elle passe rapidement de la lumière jaune des spots à l’obscurité totale aux abords d’un bâtiment, puis la lumière se fait plus faible, plus froide et plus crue avec les néons réguliers du pont et ceux de l’arrêt de gare désert.

Sous cette lumière pâle, le personnage semble plus enclin aux doutes et aux sentiments douloureux que jamais et choisi d’avancer vers l’obscurité des rails. C’est encore une fois la lumière qui vient effectuer la transition finale lorsque le visage de l’actrice s’éclaire, venant matérialiser le train.

 
Varsovie Clip Killing Anna - Lumiere train suicide - Music'n'Gre Musicngre

 

Un dénouement en suspens entre finalité et renouveau

Mais la lumière du train sur le visage de l’actrice ne marque pas la fin du clip. La transition s’effectue avec la lumière du plafonnier d’un wagon. Et on retrouve le personnage toujours hanté par ses doutes, assise dans un des sièges.

Viens alors l’élément le plus mystérieux du court métrage : la libellule. L’actrice caresse délicatement sur sa main les ailes d’une libellule inanimée. Le clip permet au spectateur de choisir ses propres interprétations et éléments de réponse, mais pour vous donner quelques pistes, la libellule est un symbole de transformation et de changement. Elle représente également les sentiments profonds et le fait de plonger en soi. Et, de par son poids extrêmement léger, elle symbolise l’âme dans plusieurs cultures. On remarquera aussi que la libellule, comme tout insecte, est attiré par la lumière.

 
Varsovie Clip Killing Anna - Symbolique libellule - Music'n'Gre Musicngre
 
Quand au symbole du train, il rejoint celui de la libellule avec le changement et le nouveau départ. Le train a donc une représentation ambivalente dans le court métrage, il représente le suicide mais aussi le renouveau. Mais ces deux principes sont-ils si opposés finalement ?

Le train nous amène aussi à faire le lien avec la signature faite par le personnage, qu’on retrouve aussi dans les paroles du morceau : Anna K. Le paraphe fait référence au personnage romanesque de Tolstoï, Anna Karénine, qui termine sa vie en se suicidant sous un train. Mais les éléments intéressants pour le clip ne s’arrêtent pas là. Anna Karénine est un personnage qui cède à ses passions mais en retire une grande culpabilité. Elle est incapable de sortir totalement des obligations sociales et sociétales qui lui pèsent, mais aspire pour autant à s’en libérer. C’est donc un personnage entre deux mondes, celui de la bienséance et celui de la liberté.

 

Varsovie Clip Killing Anna - reference au personnage d'Anna Karenine de Tolstoï - Music'n'Gre Musicngre
 

On retrouve ici l’équilibre précaire du clip, son ambivalence comme un fil tendu sur lequel on oscille : entre quotidien et exceptionnel, entre ombre et lumière, entre tragique et renouveau, entre torture intérieure et liberté. Et l’intense regard de l’actrice qui vient clore le clip avant de repartir dans l’ombre ne dissipe en rien le trouble créé, et nous laisse en suspends sur le fil.

 


 

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