Et si Varsovie, dans son troisième album « Coups et Blessures » avait des choses à nous dire ? Après treize ans d’existence, le duo grenoblois nous propose neuf titres à l’ambiance marquée, où les mots viennent concurrencer les guitares entre chien et loup dans un crépuscule fascinant.

 

C’est vrai, après tout quelle idée d’avoir appelé son groupe comme ça… Parce que autant choisir une ville aux États-Unis c’est pas ultra original (entre Phoenix, Texas, Boston, Chicago, ça sent pas l’idée qui permet de se démarquer), mais Varsovie, faut déjà le situer sur une carte… Et puis pourquoi Varsovie et pas Warszawa ? Au moins au Scrabble tu fais quelque chose… Derrière ce nom, Arnault (batterie, textes, arrangements) et Gregory (chant, guitare, musique) semblent nous tendre la main pour nous faire traverser la Vistule et nous guider dans leur univers.

 

« Des hauteurs de Bratislava jusqu’à la perspective Nevski »

Ce qui frappe tout d’abord, ce sont les textes – ce qui pour moi est plutôt inédit et déstabilisant – mais en même temps, le groupe a su y mettre les formes… Car Arnault semble avoir cette relation avec ses paroles qu’ont les artisans avec le bois, la pierre ou la terre. Cette relation charnelle qui se façonne au fur et à mesure de la besogne. Cette patine que ne prend l’objet finit que lorsque l’on y a passé du temps, remettant cent fois sur le métier son ouvrage. Les mots sont choisis, évocateurs, puissants, référencés, intimes et si le sens n’est pas toujours accessible, l’impact sur l’auditeur est quant à lui toujours de mise. Des titres comme « Va dire à Sparte » ou « Intersections », dans de longues litanies monocordes, évoquent des images sépias aux bordures mangées par le temps.

 
varsovie coups et blessures - rock grenoble
 

Les références se bousculent entre Gérard de Nerval (« Va dire à Sparte ») Anna K. ( « Killing Anna »), une certaines Anastasia (« Revers de l’Aube ») perdue entre Bratislava et St-Pétersbourg (« Intersections »). Incidemment les titres sentent la ruelle éclairée par un néon jauni sous des pavés soulevés par la mousse d’une ex-République de l’URSS, les vestiges d’une gloire passée sur des palais à moitié effondrés au début du XX° siècle ou une mélancolie sombre et gothique empruntée à l’expressionnisme allemand. On entre par effraction dans cette mosaïque de références, d’époques, de lieux où l’auteur semble convoquer tour à tour ses fascinations et ses angoisses devant la récurrence de l’Histoire, des sentiments et de la nature humaine.

 

Le feu des guitares sous la glace des mots

Devant ce primat du fond sur la forme, la production ne s’y trompe d’ailleurs pas mettant en avant la voix de Grégory dans un exercice touchant d’interprétation des mots de son comparse. Il porte ceux-ci avec conviction, arrivent même à trouver un équilibre entre la scansion respectueuse des mots et une certaine musicalité indispensable (« Le Lac », « Revers de l’Aube »).

Il est évident que dans ce choix, l’aspect mélodique du chant est parfois un peu réduit, comme dans « Discipline », et peut laisser sur sa fin l’amateur d’une tradition plus anglo-saxonne où la mélodie est reine. Le schéma des titres reprend d’ailleurs ce principe avec des structures plutôt linéaires où apparaissent parfois les traditionnels refrains ou ponts, mais le groupe ne semble pas vouloir se limiter et se laisse guider là où les mots le porte jusqu’à les réduire au minimum (« Chevaux Échappés »).

 

 

Pour autant Varsovie ne se cantonne pas à la mise en place d’un bel écrin pour des paroles évocatrices et fortes. Le travail sur la musique est bien réel, avec une très grosse influence punk-dark, cold wave issu de l’underground 80, mais sans les travers et le côté presque caricatural de certains groupes actuels se réclamant des mêmes références…

On ne se perd pas dans des reverbs indécentes sur la batterie, même si celle-ci prend un espace dans le spectre général bien plus flottant que dans le rock plus classique, allant même jusqu’à une sonorité assez froide comme dans « Killing Anna » ou dans « Feux ». Les guitares n’ont rien de chichiteuses et sont au contraire hargneuses, sans être gonflées à la testostérone, gardant un gras bien rock. Les arpèges se perdent et trainent en longueur pour ne pas se faire trop présents, mais remplissent la trame mélodique complétant ce que la voix ne veut parfois pas offrir. Grégory ne se perd pas dans des riffs ou des démonstrations inutiles misant sur l’efficacité et l’intention plutôt que sur l’esbroufe.

 

Sui Generis Madrid festival 2018 © Igor Romero

Les absences sont parfois plus éloquentes que les grandes déclarations d’intention. Pas de claviers, pas de machines que l’on aurait facilement imaginé dans cette esthétique. Varsovie ce sont aussi deux enfant des années 90 qui sont là pour faire du rock en mode power trio à l’ancienne. La basse et la guitare toutes voiles dehors en témoignent et donnent un côté rugueux qui contrastent avec la voix et le chant.

En sortant de ces 9 titres à l’identité très forte, de ces paroles qui ne se laissent pas oublier facilement, on ne peut qu’être reconnaissant à Varsovie d’avoir maintenu le cap jusqu’à ce troisième album pour continuer à affirmer ce qu’ils sont. Misant sur l’authenticité, l’honnêteté, pratiquant une musique de l’âme, ce « Coups et Blessures » ne nous a pas laissé indemne.

 


 

 

"Coups et blessures" de Varsovie : les mots pour conjurer les maux
8Note finale
Originalité8
Technique7
Plaisir à écouter9
Avis des lecteurs 7 Avis
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