La scène locale est-elle assez présente sur les festivals grenoblois ?
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Si Marie Brigaud du « Printemps de Pérouges » déclarait déjà en 2022 « Cela devient un chemin de croix d’organiser un événement » , qu’en est-il alors en 2023 pour notre petite Grenoble et les festivals qui l’animent ? A l’heure où la facture devient de plus en plus salée pour les organisateur.ices d’évènements musicaux, la solution sans surprise qui semble faire consensus, et qui n’en reste pas moins un challenge, reste la suivante : programmer davantage une scène locale qui « coûte moins chère », et parvenir à attirer à elle un public souvent en quête de têtes d’affiches pour parvenir à survivre. Solution-miracle et occasion rêvée de se recentrer sur la découverte locale ? Ou véritable symptôme d’un système culturel mal en point ?

 

Festivals et inflation : un gouffre financier qui se creuse

Après une longue période d’inactivité ou de « versions allégées » (formats condensés ou numériques) suite à la crise sanitaire, les festivals réinvestissent les saisons printanières & estivales, faisant souffler sur la ville et ses alentours un air de « nouvelle liberté » et de « presque comme avant » pour le bonheur de tous.tes. Mais en réalité, ceux-ci peinent à trouver l’équilibre budgétaire : subissant de plein fouet l’inflation qui se traduit par une hausse importante de leurs dépenses, les festivals voient le coût global d’organisation de leur évènement complètement flamber.

Location de matériel techniques (scènes, son, lumière…), essence et transports pour les artistes, coût des assurances, et cachets des artistes (connus) sont, entre autres, les causes du gouffre économique actuel. Si cette pression financière induite par la production n’est plus un secret aujourd’hui, les solutions trouvées pour la contrer ne sont plus un mystère non plus pour personne : augmentation du prix des billets d’entrée (pour assumer le coût de têtes d’affiches) et/ou mise à l’honneur des talents émergents du fait de leur « coût allégé » et disponibilité géographique, induisant moins de frais de déplacement / d’hébergement…
 

Festivals à Grenoble : une scène locale plus présente

A Grenoble, il semblerait que ce soit davantage la deuxième solution qui ait plutôt été envisagée (mise à l’honneur de talents émergents). Pour prendre un exemple récent, nous pouvons citer le cas de la Fête du Travailleur Alpin, qui bat désormais son plein sur l’Esplanade de Grenoble, et qui a pleinement assumé son recours plus massif à la scène locale pour cette édition du 16 et 17 Juin 2023 dans l’objectif de limiter ses frais. Bernard Ferrari, régisseur général de la FTA, déclarait en effet le 5 Juin au Petit Bulletin Grenoble : « On a réduit la voilure avec beaucoup plus de scène locale que d’habitude. Gnawa Diffusion, notre tête d’affiche, c’est un groupe mythique mais d’ici ».

Idem pour l’association Retour de Scène et son emblématique festival Magic Bus (dont l’édition cette année s’étalait du 11 au 13 mai), et qui s’est (encore plus que d’habitude) concentré sur la scène locale afin de contrôler les dépenses : « Les coûts techniques et la logistique ne font qu’augmenter. Pour s’aligner sur les autres festivals avec une affiche d’ampleur, il fallait franchir un cap qu’on ne voulait pas franchir. Et puis, on est déjà nombreux à Grenoble dans les musiques actuelles et on s’est rendu compte que les choix de programmation étaient restreints. En privilégiant des noms moins connus, on s’ouvre plus de possibilités », précisait Damien Arnaud, programmateur, dans l’article Petit Bulletin du 4 mai 2023. Le Cabaret Frappé, avec son format gratuit, mise aussi naturellement toujours plus sur les noms locaux pour cette édition 2023.

Si la situation semble créer l’opportunité d’explorer de nouvelles possibilités, tout en permettant aux festivals d’affirmer leur identité et de rester à l’équilibre, on pourrait simplement se dire que c’est tant mieux, et que le « recours » massif à la scène locale est une solution idéale à la crise d’aujourd’hui. Mais si ce coup de projecteur sur nos talents est réjouissant -ne le cachons pas-, est-ce que cette tendance va permettre de redonner le goût de la découverte au public ? Est-ce que cela sera suffisant pour les festivals pour survivre ? Et si pour certains cela est l’occasion de se distinguer et de se réinventer, est-ce pour autant une solution facile pour tous les festivals ?

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Programmation l’édition 2023 du festival grenoblois Le Cabaret Frappé

La scène locale dans les festivals : un défi à relever

Face à ces difficultés, tous les festivals ne sont pas égaux. En fonction du budget moyen possédé/accordé, mais aussi de l’identité artistique, le défi d’introduire davantage de scène locale dans les programmations n’est pas le même pour tous. Et contribue alors à creuser toujours plus l’écart entre les « petits » et « gros » festivals.

Car nous avons, d’un côté – pour grossir le trait- les « petits » festivals, où le « recours » à la scène locale se fond souvent plutôt bien dans l’identité initiale (car souvent déjà force de propositions locales), mais toujours plus cantonnés à ce choix du local par manque de moyens… quand souvent ce sont quelques bonnes têtes d’affiches qui permettront tout de même de faire venir le public pour lui faire découvrir la scène plus émergente qu’on veut lui faire découvrir. Des festivals à « taille humaine » forcés à réduire leur proposition et à être invisibilisés ? A ce titre d’exemple, nous pouvons citer le cas du Festival Bien l’Bourgeon, annulé en mai faute de préventes selon le communiqué de l’association Mix’Arts organisatrice du Festival, à cause d’un choix très (trop?) assumé d’une « programmation pleinement féminine » (et dont la plupart des artistes étaient des talents émergents ou « moins connus du grand public »)… Un coup dur venant rappeler l’épée d’amoclès flottant au-dessus des propositions alternatives.

La programmation proposée par Mix’Arts pour l’édition 2023 de Bien l’Bourgeon.

Puis nous avons, de l’autre côté, les plus « gros » festivals, ayant la réputation de réunir du peuple autour de « gros artistes » et qui auront donc, dans cette logique, peu d’autre choix que d’augmenter le prix de leurs billets pour conserver une programmation intéressante pour eux et donc de toujours plus se « saigner »… Devenant alors de plus en plus inaccessibles financièrement pour les festivalier.es, via une course aux chiffres qui s’envolent, faisant en partie des festivals un produit quelque peu luxueux. Dans ce contexte, commencer à introduire davantage la scène locale au sein des programmations apporte son lot de défis à relever : comment continuer à fidéliser le même public ? Le même nombre de personnes ? En comment, éthiquement, « prouver » sa volonté sincère de faire découvrir des talents locaux quand jusqu’alors, la part belle était plutôt faite aux têtes d’affiches ?

Sans être peut-être aussi manichéen, disons que le besoin de trouver l’équilibre au sein d’une programmation (afin d’allier têtes d’affiches et découvertes), challenge déjà constant pour les festivals, semble se complexifier et se durcir. Mais le principal challenge demeure : si les circonstances de cette crise seraient dans tous les cas l’occasion de cultiver un regain d’intérêt envers la scène locale, comment parvenir cependant à (re)donner au public le goût de la découverte, quand souvent, ce qu’il vient chercher en festival, c’est la « valeur sûre’, l’artiste avec lequel il est certain de passer une bonne soirée ?

Ce qu’il reste à espérer donc, côté public, c’est que la situation permettra une prise de conscience de la richesse du tissu musical local, et que ce phénomène n’est pas simplement le fruit d’une solution de repli économique. Dans tous les cas, cette situation nous invite à nous questionner en tant que spectateur.ices et consommateur.ices de concerts et globalement, de culture : suis-je prêt à prendre le risque de dépenser de l’argent pour des groupes qui ne me plairont pas sur scène, mais tout autant de rencontrer du nouveau, du frais, et de rencontrer les talents de ma ville ? Ou alors n’ai-je envie de consommer uniquement des « valeurs sûres », quitte à y mettre le prix, et rester en circuit fermé dans ma playlist quotidienne ? Éternels enjeux et ambitions autour de la scène locale : peut-elle enfin être sexy auprès du grand public, et lui, deviendra-t-il enfin plus curieux de sa belle diversité ?

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